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xaviergelard

Journal d'un album : Madeleine

Dernière mise à jour : 21 janv. 2022


Pourquoi faire une musique pour une œuvre qui en possède déjà une, et si envoûtante ? Pour faire sortir les fantômes de leur cachette, et donner une voix à un personnage qui, s’il est omniprésent dans le film par l’évocation qu’on en fait, n’a jamais la parole, même si elle a la main mise sur les actions des personnages et les dirige en coulisse.

Madeleine n’apparaît jamais que sous l’apparence de ses doubles : Judy grimée en Madeleine, la “vraie” Madeleine (la femme de Gavin) morte, le portrait de Carlotta Valdès. Mais quant à elle, elle n’est nulle part.



Madeleine-Judy, particulièrement, est la réplique de quelque chose qui n’apparaît jamais : un faux sans modèle, sans origine. Le faux qu’elle a contribué à créer finit par être plus réel qu’elle aux yeux d’un autre. Ce n’est pas la première occurrence dans l’histoire: son nom même renvoie à un personnage fabriqué de toutes pièces parmi les plus célèbres au monde, à savoir La Madeleine. La Madeleine de la tradition chrétienne est une combinaison de trois personnages distincts : Marie de Magdala, Marie de Béthanie et la pécheresse qui oint le Christ de parfum. Le personnage complexe qui hante l’imaginaire collectif depuis lors n’a pas d’origine véritable, et pourtant sa présence est palpable. Fabriqué, modelé à partir d’une glaise fuyante et aux aspects contradictoires, il réussit pourtant l’exploit de revendiquer une forme d’existence. C’est une variante avant l’heure de la créature de Frankenstein, née d’un patchwork qui devrait l’empêcher d’accéder à l’individualité mais qui y parvient malgré tout.

De ce point de vue, Madeleine est comme Philip, un fantôme de laboratoire créé à Toronto fin 1973. Un groupe de neuf chercheurs et d'étudiants se seraient réunis sous l'égide de la "New horizon research foundation" un centre de recherches psychiques, afin de créer un fantôme. Ils auraient dressé un portrait robot détaillé de l'esprit auquel ils souhaitaient donner vie. Un participant raconte qu’ «Il fut décidé qu'il s'appelait Philip et aurait vécu au XVIIe siècle. Aristocrate anglais d'une belle prestance il ne s'entendait pas avec sa femme, une bigote à l'esprit étroit et qu'il trompait allègrement avec une jeune et jolie bohémienne. Joueur et très endetté, il avait dilapidé la dot de son épouse». Pendant près d'un an, rien ne se passa. Mais, un jour, Philip se manifesta par des coups frappés sur la table.

Les fantômes ne viennent pas du passé nous hanter, mais nous les créons. Comme Gavin l’a accidentellement fait en faisant passer Judy pour sa femme, comme Scotty le fait en grimant Judy en la Madeleine qu’il aimait, comme chaque auteur le fait en imaginant un personnage qui finit par prendre une forme d’indépendance et, si l’on suit Pierre Bayard, finit par se jouer de son créateur. Qu’ont-ils à nous dire ? Que l’existence n’est pas un terme univoque, et qu’il renvoie à diverses manifestations ; que l’artifice peut produire du vrai ; et que nous nous devons de communiquer avec eux, car nous leur sommes liés.


Sources :

Iris M. Owen, Margaret Sparrow, Philip le fantôme, éditions Québec/Amérique

Pierre Bayard, L’Affaire du chien des Baskerville, Editions de Minuit



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